Conférence sur l’avenir de l’Europe : ne ratons pas le rendez-vous démocratique et citoyen

Avec le départ des Britanniques et pour la première fois de son histoire, l’Union européenne donne au monde le sentiment qu’elle régresse.

TRIBUNE CIVICO sur la conférence sur l'avenir de l'Europe

Nos signataires :

Guillaume Klossa est coprésident de CIVICO Europa et ancien sherpa du groupe de réflexion sur le futur de l’Europe 2020-2030, Francesca Ratti est coprésidente de CIVICO Europa et ancienne secrétaire générale adjointe du Parlement européen, Felipe Gonzalez est ancien président du Conseil espagnol et président du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe 2020-2030, membre CIVICO Europa, Danuta Maria Hübner est députée européenne, ancienne Commissaire européenne et ancienne présidente de la Commission des Affaires constitutionnelles du Parlement européen, membre CIVICO Europa,  Maria João Rodrigues est ancienne députée européenne, ancienne négociatrice du Traite de Lisbonne et présidente de la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS), membre CIVICO Europa, Christophe Leclercq est fondateur du Réseau Média EURACTIV et fondateur de la fondation EURACTIV, membre CIVICO Europa, Tremeur Denigot est directeur à CIVICO Europa et expert européen.

 

(crédits photo christiaancolen, Licence CC BY-SA2-0)

Avec le départ des Britanniques et pour la première fois de son histoire, l’Union européenne donne au monde le sentiment qu’elle régresse.

Le Brexit a des causes multiples, mais il participe aussi d’un malaise démocratique auquel n’échappe pas l’UE. Une fracture de légitimité semble se creuser entre la démocratie représentative classique et une démocratie plus participative, qui saurait réduire la distance entre les élus et les citoyens qui veulent davantage contribuer à la cité au-delà des seuls rendez-vous électoraux.

La Conférence sur l’avenir de l’Europe qui initiera ses travaux à compter de Mai 2020, soit trois mois après le Brexit, peut nous offrir l’occasion d’un renouveau démocratique et citoyen de l’Europe.

Notre conviction est que représentants de la société civile et citoyens doivent pleinement pouvoir profiter de la Conférence pour faire émerger une vision partagée de l’Union à l’horizon 2030-2040 et projeter l’Europe dans une dynamique d’avenir.

Notre crainte la plus grande est que les modalités de consultation de la Conférence ne s’avèrent in fine qu’être des gages donnés à l’esprit du temps. Quand on flatte les espoirs de participation des citoyens, mieux vaut s’assurer de les satisfaire, sinon la déception n’en sera que plus grande et notre démocratie européenne en ressortirait encore plus affaiblie.

La récente résolution du Parlement européen décrivant les modalités de la Conférence confirme la promesse d’inclusion annoncée par Ursula Von der Leyen dans son programme pour l’Europe. Nous nous en félicitons. Elle montre aussi que le Parlement est l’institution européenne qui se montre la plus déterminée à donner un rôle aux citoyens. L’objectif que fixe la résolution pour la Conférence est, justement, de « privilégier une démarche ascendante de façon à dialoguer directement avec les citoyens de manière constructive » et d’envisager à long terme un « mécanisme permanent de dialogue avec les citoyens pour réfléchir sur l’avenir de l’Europe ».

Concrètement, le Parlement propose une “phase d’écoute” préalable à la Conférence pour que les citoyens exposent leur propre vision de l’Europe. Cette étape est sans doute essentielle. Elle permettrait d’associer les citoyens à la définition de l’agenda, et pourrait servir de base aux 6 conférences thématiques (« agoras citoyennes ») qui sont également proposées.

A ceci s’ajouteraient deux agoras « jeunesse » (sans qu’on comprenne pourquoi les jeunes, entre 16 et 25 ans, devraient être réunis séparément alors que la représentation citoyenne exige l’unité).

Nous ne savons pas pour l’instant combien ni comment ce qui sera dit dans ces enceintes sera pris en considération par les institutions.

Nous comprenons qu’il est difficile pour le Parlement de décider à lui seul des règles du jeu. Toutefois, nous savons aussi qu’il n’est pas judicieux de rester allusif et modéré au moment où citoyens et acteurs de la société civile ne cessent de clamer leur volonté d’être engagés et d’être davantage parties prenantes de la démocratie européenne.

CIVICO Europa a fait de la question de l’engagement citoyen transnational et de la constitution d’une opinion publique européenne le cœur de son action depuis ses origines. Nous avions dès après le référendum sur le Brexit appelé à une Renaissance de l’Europe autour de l’Appel du 9 mai 2016 dont était ressortie une feuille de route traçant les contours d’un agenda européen qui a su inspirer. Nous y recommandions déjà le besoin d’explorer les modalités nouvelles d’engagement citoyen.

Nous sommes passés des paroles aux actes juste en amont des élections européennes de mai 2019, en imaginant et mettant en œuvre avec la civic-tech européenne Make.org, le projet WeEuropeans,  la plus importante consultation transnationale et multilingue jamais réalisée. Le congrès citoyen organisé le 22 mars 2019 dans l’enceinte même du Parlement européen a permis de présenter les résultats de la consultation à la société civile européenne et aux leaders des principales familles politiques du Parlement qui ont ensuite  intégré partiellement ou totalement ces propositions dans leurs programmes électoraux.

L’accent qui était mis sur les questions environnementales en avait alors surpris plus d’un. Depuis, le sujet s’est imposé comme une évidence et est en tête de l’agenda européen. C’est là la preuve de l’efficacité de ce genre de mécanisme de consultation qui fait remonter des préoccupations citoyennes réelles au-delà des fantasmes et des instrumentalisations.

Voilà pourquoi si nous croyons profondément à la démocratie représentative, ces différentes expériences ont forgé notre conviction qu’à côté du leadership institutionnel des Etats-membres, du Parlement et de la Commission européenne, un leadership citoyen est indispensable. Ce dernier n’a pas vocation à se substituer au leadership politique mais à le compléter. Il doit lui servir d’aiguillon, pour le stimuler et l’orienter, facilitant l’audace politique et le dépassement des intérêts nationaux en enrichissant vraiment la mécanique représentative européenne sans céder à la démagogie du « civic washing ».

Nombreux travaux et expériences autour de la question de la participation citoyenne existent déjà. Ils doivent nourrir la réflexion collective avant le lancement de la Conférence.

De même, des plateformes numériques sont déjà opérationnelles et permettent d’organiser des consultations à large échelle et de créer des espaces publics d’échange et de débat. Elles sont à même de faire émerger une opinion publique européenne et d’en récolter les fruits.

Il n’est pas question pour autant de céder à l’illusion d’une pseudo « démocratie numérique », qui risquerait de se soumettre à l’arbitraire des plateformes qui la proposent. Ce pourquoi il convient aussi d’impliquer les médias à la Conférence, car il n’y a pas de démocratie sans presse indépendante. Des médias européens fiables et indépendants, sont le lien nécessaire entre « démocratie » et « numérique ». C’est donc plus que jamais le moment de poursuivre la réflexion sur la souveraineté européenne des médias.

Nous appelons à bâtir la Conférence sur la base de ces idées et expériences, et à saisir ce moment pour s’atteler ensemble au nécessaire travail de mise à jour de nos procédures démocratiques. La réforme et la relance du projet européen sont à ce prix. Ne manquons pas cette occasion.

 

 

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